Le chaudronnier et son assassin (Cabannes, 31 mai 1838)

Franco était un ouvrier chaudronnier napolitain qui jouissait d’une mauvaise réputation dans son pays. S’étant rendu coupable d’avoir donné des coups de couteau à un camarade, il avait décidé de fuir Naples pour éviter les poursuites criminelles auxquelles la justice le destinait.
Et voici qu’il était donc venu en France où il résidait depuis sept ou huit mois, dans l’état de journalier, allant de village en village chercher quelque labeur à effectuer pour en retirer un peu de monnaie.
En mai 1838, il avait par exemple passé deux ou trois jours à Cabannes (Bouches-du-Rhône) à travailler pour un maître, de langue italienne comme lui, Liborio Mercadente. Le travail effectué, Mercadente lui proposa de le suivre jusqu’à Marseille où il avait un autre travail à lui donner. Satisfait de l’occasion, Franco accepta et les deux hommes prirent la route le 31 mai.
Seulement, ni Franco ni Mercadente n’arrivèrent à Marseille.
Cinq ou six jours après leur départ, on retrouva, non loin de Cabannes, dans le parc de Monsieur d’Estornel le cadavre nu du pauvre Mercadente. Le malheureux homme présentait des blessures affreuses comme la tête fracassée et des plaies béantes dans la poitrine. De plus, le corps avait été à moitié mangé par les chiens.
Plus encore que les blessures, c’est la nudité du corps qui interrogeait. On entreprit de rechercher les vêtements et l’on finit par les retrouver, en lambeaux complets, à quelques dizaines de mètres du corps.
À côté du corps de Mercadente, on ne trouva aucun instrument lié à son travail, ce qui était étonnant pour un ouvrier qui était en voyage de travail. Seul un soufflet brisé, donc inutilisable, fut retrouvé. De plus, les treize ou quatorze pièces d’or dont il était supposé être le porteur au moment de sa mort, fruit de ses patientes économies, ne se trouvaient plus sur lui.

On commença à suspecter Franco d’avoir assassiné son maître. Au mois d’août, les services de police indiquèrent à leurs collègues des Bouches-du-Rhône qu’on avait repéré à Montpellier (Hérault) un chaudronnier napolitain qui, depuis deux mois, semblait mener la belle vie et qui avait en sa possession les instruments qui avaient été dérobés à Mercadente. Il avait même au coin des lèvres une pipe de fabrication originale au sujet de laquelle il disait volontiers qu’elle avait appartenu à son ancien maître. Cet homme, évidemment, était Franco.
Les circonstances qui l’entouraient étaient plus que suffisantes pour faire croire à sa culpabilité.

La défense de Franco fut de dire, à son procès qui eut lieu à la cour d’assises d’Aix-en-Provence du 3 au 13 décembre 1838, que, dans la soirée du 31, soir où les deux hommes avaient quitté Cabannes, Mercadente, désireux de retourner dans son pays, avait vendu à Franco tous les outils qui lui devenaient désormais inutiles et que c’était pour cette raison qu’il les avait désormais en sa possession. Il ajoutait que, la vente actée, les deux hommes s’étaient séparés et que, si lui menait grand train à Montpellier, c’était grâce au fruit de son propre travail, pour lequel il avait patiemment économisé plusieurs pièces d’or.
Le procureur, M. Lieutaud, connu pour être un homme méthodique, clair et précis, ne croyait absolument pas à la version de Franco. L’avocat du Napolitain, Me Guilibert, était face à une tâche ardue tant les faits semblaient irréfutables et particulièrement accablants.

Finalement, le jury déclara Franco coupable de meurtre, mais il écarta les circonstances du vol et de la préméditation, ce qui eut pour effet de sauver la tête de l’accusé. Il fut condamné à une peine de travaux forcés à perpétuité. Il accueillit ce verdict avec une parfaite impassibilité et, alors qu’il descendait l’escalier du palais avec les gendarmes, il affichait un large sourire.

  • Sources : Le Mémorial d’Aix, 15 décembre 1838, p. 2, 3.

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